2010 a été une très bonne année pour voir et écouter certains jazzmen légendaires, comme l’année où j’avais vu Stan Getz et Miles Davis…
Les 1er et dernier concerts ont été ceux du quartet français Kartet, qui jouait en banlieue parisienne (au Triton aux Lilas en mars, et au Conservatoire de Montreuil en décembre). Kartet est connu des amateurs de jazz en France, en Finlande, en Amérique du Nord (le New York Times a sélectionné l’un de leurs albums comme l’un des « 10 meilleurs disques de pop/jazz de l’année »)…
J’ai vu Kartet pour la 1ere fois quand ils étaient en 1ere partie du merveilleux Trio Paul Bley – Gary Peacock – Paul Motian à Bondy en 1999. J’avais une espèce de grippe, mais décidé d’y aller malgré tout, car ce n’est pas tous les jours que passe une telle affiche ! Je ne connaissais pas Kartet à ce moment, et étais arrivé bien mal en point, après que leur set ait débuté. Et soudain les courbatures musculaires et la fièvre semblaient avoir disparu, tellement j’ai été immédiatement fascié et séduit par la qualité et l’originalité de leur musique : pas de standards, un jazz d’aujourd’hui pour aujourd’hui, des liens avec l’avant-garde et la musique contemporaine (piano préparé…), mais avec également en même temps une profonde compréhension du jazz. Kartet et le Trio Bley – Peacock – Motian ont été bien plus efficaces contre cette grippe que tout médicament !
Kartet c’est Benoit Delbecq (piano), Guillaume Orti (saxophones), Hubert Dupont (contrebasse) et Chander Sardjoe (batterie). Ils prennent tout leur temps pour enregistrer des disques (4 en 20 ans…), ne jouent pas si souvent en concert, mais ont en parallèle une activité extrêmement intense avec d’autres formations (beaucoup ayant gravité autour du collectif Hask). Si je devais choisir l’un de leurs albums pour la fameuse île déserte, ce serait le fabuleux Jyväskylä sans l’ombre d’un doute.
Aux Lilas, ils ont joué différents morceaux en particulier de leur album le plus récent, The Bay Window, comme Chrysalide / Imago. Leur musique, intelligente comme jamais, est à la fois libre sous contrôle, et offre des dialogues magnifiques entre les instruments.
Mêmes ingredients et réussite à Montreuil, où ils ont joué – entre autres – Misterioso, Y, Dys (une référence à la Dyslexie) tirés de The Bay Window, puis Gazzell, Binoculars, X et XY qui devraient tous apparaître sur leur prochain disque, D’hélices et le nouveau et superbe Corps Chromé. Des maîtres !
Setlist partielle Les Lilas (Le Triton) :
Chrysalide / Imago
Setlist partielle Montreuil (Conservatoire) :
Misterioso
Y
Dys
Gazzell
Binoculars
X
D’Hélices
Corps Chromé
Changement complet de style avec le Jim Hall Trio à la Salle Pleyel, en avril. J’ai découvert Jim Hall via son travail avec Bill Evans. Il est l’un des très rares guitaristes de jazz que j’aime, sa musique coule et respire comme nulle autre. A noter que le Trio de Marc Ribot aurait dû assurer la 1ere partie, mais s’est retrouvé dans l’impossibilité de rejoindre Paris en raison des cendres volcaniques qui recouvraient une bonne partie du ciel de l’Europe.
Jim Hall, qui a eu 80 ans cette année, est arrivé en marchant lentement et en s’aidant d’une canne et a dit quelques mots en français, en présentant ses partenaires Joey Baron à la batterie et Scott Colley à la basse.
La 1ere pièce, Furnished Flats, a permis au Trio de se mettre en place et de rentrer dans le concert, pour donner ensuite d’excellents All the things you are et Beija-Flor, avec son caractère brésilien.
Place alors à 3 improvisations, d’abord, un duo guitare et batterie (Baron utilisant principalement des balais à la place de baguettes), puis, un duo guitare et basse. Les deux avaient un caractère très intime. La 3e impro était un Trio, joué un peu plus fort, Baron se servant des balais, des baguettes et même de ses mains !
Jim Hall aime visiblement partager la musique avec ses partenaires et n’est pas là pour être le centre de l’attention ; le choix de jouer et des vieux standards et des improvisations en dit aussi long sur son approche de la musique.
Le Trio a joué de splendides All Across The City et Careful pour terminer.
Avant de partir, Jim Hall a indiqué qu’il était heureux d’être de retour en France avec un nouveau gouvernement aux Etats-Unis, différent de celui qui était en place lors de sa venue précédente avec Ron Carter. Il a aussi mentionné que la canne était due à une opération du dos, et que la prochaine fois il danserait !
La guitare de Jim Hall est toute délicatesse, finesse, légèreté, agilité. Comme de la dentelle. Il n’est jamais démonstratif. Son son est assez proche d’une guitare acoustique, mais différent malgré tout. Quel maître !
Setlist :
Furnished Flats
All the Things You Are
Beija-Flor
Improvisation 1 (guitar-drums)
Improvisation 2 (guitar-bass)
Improvisation 3 (Trio)
All Across The City
Careful
Encore un autre type de jazz, cette fois en septembre à la Grande Halle de la Villette, avec un autre merveilleux Trio: Chick Corea (piano). Miroslav Vitouš (basse), Roy Haynes (batterie). Ils avaient choisi le titre Now He Sings, Now He Sobs Trio pour le concert.
J’ai une tendresse spéciale pour leur Trio, étant venu à aimer et comprendre le jazz par le biais de leur album Trio Music, Live In Europe.
Le jeu de Chick Corea est resté juvénile et très plaisant à écouter, Miroslav Vitouš jouait assis d’une petite contrebasse un peu étrange. Il a joué certaines parties avec un archet et aussi des effets sonores qui ressemblaient à ceux d’une pédale wah ! Enfin, leur aîné, l’immense Roy Haynes a montré qu’il était toujours aussi créatif, impeccable et musicien à 85 ans (!). Quel formidable batteur, l’un des très rares avec Max Roach – que j’ai aussi eu la chance de voir – à pouvoir jouer tout un morceau en se servant des bords des instruments (fûts ou cymbales et leurs pieds) en arrivant pourtant à faire de la musique (oh! Chander Sardjoe nous a lui aussi fait le coup d’ailleurs…) !
Ils ont joué une dizaine de compositions en un peu plus d’une heure et demie, dont une superbe version de I Don’t Know et Think Of One de Thelonious Monk, l’un des sommets de la soirée.
Après un bis à toute allure, chacun a glissé un mot au public. Roy Haynes a eu le dernier mot : « Now He Sings, Now He Sobs, Now We leave ».
Setlist partielle :
I Don’t Know
Think Of One
Quelques jours plus tard, Paul Bley était à la Cité de la Musique pour donner un concert en solo. Je ne l’avais vu qu’une fois jusqu’alors, en Trio, comme indiqué plus haut. Comme Jim Hall, il est arrivé en marchant lentement et en s’aidant d’une canne. En 1ere partie, Stéphan Oliva avait dédié le Portrait de Gene Tierney au pianiste canadien.
Bley qui a une formation de pianiste classique, a joué avec Charlie Parker, Lester Young, Charles Mingus et Art Blakey pour ne citer qu’eux, et est devenu l’un des premiers et plus importants pianistes de free jazz, jouant par exemple avec Ornette Coleman et Charlie Haden.
Sa musique est très originale et a souvent une esthétique « agressive » ; il se sert de différentes techniques pour élargir l’éventail des sons que peut offrir le piano : parfois il joue directement sur les cordes du piano, ou joue avec un piano préparé, ou autre chose encore… Il construit et déconstruit tour à tour la musique, en totale liberté.
Son concert donnait un aperçu de tout cela : compositions lentes et répétitives, avec des éruptions violentes, des accords dissonants, des silences brusques, ou des morceaux plus jazzy ou avec des tempi plus rapides. Il a parfois imité un echo, souvent changé de tempo et de style dans le même titre, sans aucune transition. Il a joué des clusters, tapé sur des parties du piano pour obtenir des effets particuliers de résonance, mais aussi offert des passages beaucoup plus lyriques.
Il a ainsi joué, à sa manière toute personnelle, Monk’s Dream, Like Someone in Love, Pent-Up House.
Le bis s’est conclu sur un tempo très lent, dans un monde étheré, en contraste total avec le reste de la pièce !
Setlist partielle :
Like Someone in Love
Monk’s Dream
Pent-Up House